Saturday 26 September 2015

Grumeaux de sang

Grâce à une conversation aujourd'hui avec un ami francophone, qui lisait le blog mais qui s'est arrêté à cause de la langue, je propose tout de suite un article en français! Vraiment je m'excuse d'avoir été si anglophile jusqu'à là. Une raison pour cela est que j'écris mieux en anglais - après tout, c'est ma langue maternelle. Mais une deuxième raison existe aussi, ce qui est que les sources et références auxquelles je réponds et que j'examine proviennent, pour la plupart, de personnes et chercheurs anglophones. Cependant, cela ne m'excuse pas, et je compte à faire plus d'articles en français, dont un cette semaine (sur un chant de louange dans la suite de la séquence que j'ai entamée sur la théologie dans l'adoration).

Mais mon sujet pour aujourd'hui c'est la question du Fils de l'homme selon l'évangile de Luc. Cette expression LE fils de l'homme est radicale et très innovatrice. Puisque cette expression (avec son article défini) n'existe en aucun texte d'antiquité, y compris les textes de l'Ancien Testament, qui contient une centaine de références à UN ou DES fils de l'homme.

Certains lecteurs auront déjà entendu parlé du "Jésus historique". C'est un mouvement qui s'est développé dans le domaine de l'histoire, et qui applique donc les mêmes critères que nous appliquons à tout autre événement et personnage historique à la personne centrale de la foi chrétienne, à savoir Jésus Christ. Ces historiens appliquent non des méthodes de la foi mais de l'histoire. Certains sont croyants, et beaucoup non, et beaucoup de débats ont eu lieu sur la question du "Jésus historique". Un des grands chercheurs de notre temps, qui n'est plus croyant, s'appelle Bart Ehrman. Personne qui a étudié sérieusement les textes bibliques selon l'approche critique ne serait ignorant de ces publications. Ehrman fait partie de ceux qui estiment qu'en appliquant un certain nombre de critères historiques et de recherches plus récentes (par exemple sur les effets de la transmission orale d'histoires et la mémoire humaine) qu'il existe dans les textes une riche diversité dans l'exactitude en ce qui concerne les paroles de Jésus.

Effectivement, même des apologistes bien conservateurs peuvent céder quelques petites tournures des rédacteurs des évangiles qui ne seraient pas mot par mot ce que Jésus à réellement dit, la tache qui intéresse les historiens (voir Justin Bass dans son débat avec Bart Ehrman le 18 septembre 2015). Ehrman est d'accord qu'au vu des sources diverses et indépendantes, que Jésus avait réellement beaucoup parlé du Fils de l'homme, avec ce fameux article défini. Mais, ce qui est très étonnant, c'est que si tu acceptes qu'il peut y avoir une différence entre le vrai déroulement des événements et ce que nous apportent les quatre évangiles, Mathieu, Marc, Luc et Jean, et que tu acceptes aussi que Jésus parlait beaucoup du Fils de l'homme, tu n'es pas obligé de prendre la position que Jésus parlait de lui-même. Selon certains versets, il parait plus qu'évident que Jésus s'approprie ce titre, mais pour certains historiens, c'est tout aussi possible ou probable que c'est le rédacteur qui lui font approprier ce titre là. Regardez un exemple qui ne nécessite pas une telle appropriation:

Car quiconque aura honte de moi et de mes paroles, le Fils de l'homme aura honte de lui, quand il viendra dans sa gloire, et dans celle du Père et des saints anges. (Luc 9:26)

Pour des historiens, cette phrase serait éventuellement plus proche aux dires de Jésus que d'autres passages.

Alors pourquoi je vous parle de tout ça?

Sur son blog à travers un nombre d'articles, Ehrman a expliqué pourquoi deux versets en Luc chapitre 22, aux versets 43 et 44, nous pouvons constater une vraie corruption du texte ("corruption" au sens technique, non au sens malsain), c'est à dire une insertion. C'est le passage qui parle de comment un ange a réconforté Jésus dans le Jardin de Gethsémani et aussi comment Jésus a été "en agonie":

Alors un ange lui apparut du ciel, pour le fortifier.
Étant en agonie, il priait plus instamment, et sa sueur devint comme des grumeaux de sang, qui tombaient à terre.

Wow, un passage très connu, c'est vrai. Mais, c'est une insertion; c'était ajouté par un scribe dans le deuxième ou troisième siècle. C'est un véritable fait que les êtres humains qui copiaient ces textes faisaient toujours d'erreurs, dont la plupart sont sans conséquences lourdes. Cela est attesté par l'appui de très anciens manuscrits qui manquent ces versets, par la construction sinon symétrique du péricope et par le contexte de "la souffrance" de Jésus en Luc.

En effet, nous avons l'habitude d’aplatir les événements de la vie, et surtout de la mort et de la résurrection de Jésus à un seul récit constitué de quatre sources. Cela nous empêche des fois de remarquer certaines choses étonnantes. Voici une qui est énorme: si tu lis uniquement la passion de Christ en Luc, tu peux arriver à la conclusion étonnante que - MISE A PART LUC 22:43-44 - Jésus n'aurait pas vraiment souffert. A chaque fois que l'écrit de Marc donne l'impression d'une situation lourde et douloureuse pour Jésus, Luc, qui a accès à ce texte, enlève l'agonie, et montre un Jésus est au contrôle, capable de conversation, réflexions et exhortations approfondies, qui ne crie pas à Dieu pourquoi il l'aurait abandonné, etc. Honnêtement, les arguments pour une corruption de ce passage sont cohérentes à de nombreux niveaux.

Mais une question reste, et je l'ai posé à Dr Ehrman: pourquoi aurait Luc été si intentionnel à montrer l'absence de souffrance pour Jésus dans sa "passion"? J'ai aussi fait une petite proposition (alors, s'il vous plaît croyez-moi que je suis très loin d'être convaincu, j'essaie juste de vérifier la cohérence des arguments auxquels je suis sensibilisés):
Si dans d'autres endroits dans le livre de Luc nous pouvons constater un lien entre la souffrance et "Le Fils de l'homme", et si Jésus faisait allusion à un tiers, un personnage apocalyptique tel que celui vu par Daniel au chapitre 7 du livre attribué à ce prophète de l'Ancien Testament, alors est-ce qu'un hypothèse pour cette approche de Luc ne serait-il pas justement d'éviter la confusion entre Jésus et le Fils de l'homme. La réponse d'Ehrman est simplement "bonne idée", et reste bien sûr à développer.

Un problème initial pour cet hypothèse et qui serait à vérifier: les autres citations du Fils de l'homme où il parait une identification de Jésus par Luc avec le Fils de l'homme, peuvent-elles s'expliquer par d'autres corruptions telles que celle constaté pour les grumeaux de sang? Sinon, pourquoi voudrait Luc éliminer la trace de la souffrance de Jésus si son objectif était de ne pas confondre Jésus et le Fils de l'homme?

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